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Des grimaces et des petitsplats
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12 décembre 2012

Chapitre 8

Chapitre 8

Voici que j'ouvre les yeux: Voici que face à moi se dresse ton regard et voici qu'il reflète ma naissance et les insus de mes origines, et voici encore qu'il s'y perd  s'y absente  et s'y abime. Je crie et je décide - ou alors tu m'imposes?- que mon regard sera le cachet de ta présence, je crie et tu décides –ou alors je m'impose- que ton regard sera l'étalon de mon essence, et toi mon roi et moi ta reine, errants de notre règne, nous voici parcourant le chemin tout tracé.

 

    C’est une fille !

    Le voisinage est juge.

    Chacun exprime son sentiment en chuchotant. Assez bas pour ne pas prendre de positions définitives. Assez corsé toutefois pour laisser suinter l’amertume d’un ressentiment contenu mais violent. Tout en douceur par contre. Il serait malvenu de se réjouir effrontément en goutant sans complexes aux plaisirs acides qui s’écoulent du malheur des enviés. Il n’est en effet jamais bon de rire ouvertement de la peine de ceux qui ont pour habitude de nous mépriser- et ce, quelle que soit la lourdeur de la mésestime subie. Il s’agit là d’un délice intime, profond et qui n’est complet que partiellement exprimé. Il ne s’agirait pas de laisser à penser qu’en dépit de nos mines nobles et respectables nous ne valons finalement pas mieux que celui que l’on voudrait condamner. Difficile art que celui de la jalousie, exprimée dans le contexte triste du malheur des enviés.

    C’est une fille et donc pas de youyous.

    Les plus petits : « on n’aura pas de tomina » et les plus grands prétendument sincères et compatissants: « Il avait une voiture pourtant, une place à l’usine, et il a emmené sa femme à la maternité. Tout pour lui et pourtant. » Et les vieux, sages insoupçonnables : « l’arrogance du bonheur ne protège pas des pires disgrâces, hé, une fille ! ».

    Mais toi, roi, tu entres dans ta maison et fais face. Ton bébé dans les bras : ta fille.

    « Qu’on prépare la tomina, dis-tu, et qu’on la distribue ! Mon enfant est née et je suis fier ! » Il y avait là toutes les femmes de la famille. Et toutes ont tourné vers toi leur regard comme un gouffre de gêne, un malaise si abrupt que son escalade n’en est pas juste impossible mais inacceptable et sacrilège. Mais elles ont préparé la tomina, et l’ont distribuée et ont affronté dans le regard de tous les voisins ce petit sourire imperceptible mais si lourd.

    Il ne suffisait donc pas à ta femme de mettre au monde une fille ainée? Il fallait encore que tu le fasses proclamer? Que tu imposes la célébration de ce que la communauté entière aurait regardé comme un deuil. Le deuil de ce garçon que ta fille ainé ne sera jamais.

    Voila le jour où je suis née. Le jour où en prétendant le contraire tu m’as demandé le plus grand sacrifice.

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