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Des grimaces et des petitsplats
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6 décembre 2012

Chapitre 1

            Les chevaux de Neptune. Voilà ce que lui inspiraient les vagues dans cet océan d’ordinaire si paisible et aujourd’hui si agité. Awa ne connaissait pas le tableau, en avait probablement juste déjà vu une reproduction, mais la comparaison qu’il proposait entre l’écume des lourdes vagues, progressives et disciplinées rampant à l’assaut du rivage avec régularité et les crinières des chevaux lui revint à l’esprit. Elle la trouva juste et évidente et resta postée un long moment dans le vent vérifiant à chaque déferlement la précision et l’exactitude de cette ressemblance. Mais dans le tableau, les vagues sont grises et orageuses, les chevaux fougueux et guerrier. Devant ses yeux, c’étaient des vagues claires et bleues chevauchées par un soleil brulant qui y infusait une transparence effervescente et nette à la fois. La vue était magnifique et digne d’une publicité d’agent touristique. Il y avait les palmiers derrières, il y avait les baigneurs devant et entre il y avait la plage claire, et Awa s’enivrait de tout ce qu’il y avait ainsi que de l’odeur salée des brumes proposée avec une violence pacifique par un vent constant et chaud. Elle inspirait tout cela de façon active et consciente comme pour se rappeler de ne jamais céder à cette certaine indifférence qui nait de l’habitude d’avoir le paradis à sa disposition.

 

            Awa hésitait. L’appel de l’eau était fort mais le vent aussi. Elle tenta une première fois d’enrouler sa serviette autour de ses hanches pour retirer son jean et enfiler son maillot de bain. Le vent soufflait  vraiment très fort et déroula sans difficulté la serviette, laissant Awa découverte mais sauvée de l’humiliation au moment où elle venait de détacher sa ceinture. Elle la rattacha et renonça, heureuse que le vent ne l’ai pas exposée en culotte ou pire encore. Elle recroisa les bras, se dit que l’eau devait être trop froide de toute façon et se remit à savourer la lumière, la musique et les parfums de la plage, pendant un long moment encore. Puis l’appel de l’eau revint à l’assaut ramené par les vagues et le vent qui au bout d’un moment, dans son esprit seulement, n’était plus une menace mais une caresse domptable. Elle enroula à nouveau la serviette, cette fois-ci plus serrée et utilisa une main pour maintenir le nœud. Avec l’autre main, elle retira son pantalon, sa culotte et finit tant bien que mal par enfiler son maillot. En laissant tomber la serviette elle fut satisfaite de son allure. Depuis quelques mois elle avait perdu du poids, et ce jour là depuis longtemps la honte d’exhiber un corps trop rond et trop volumineux lui fut épargnée. Elle se sentit stupidement  heureuse que les autres baigneurs puissent la voir et souriait intérieurement à l’idée qu’en réalité aucun d’entre eux ne savait qu’elle avait perdu du poids et ne pouvait constituer un témoin satisfaisant de ses efforts diététiques. Peu lui importait, elle s’avança vers l’eau portée par ce sentiment agréable. Ces moments lumineux où son esprit se laissait envahir par des futilités bienfaisantes étaient trop rares pour qu’elle refuse de s’y perdre.

 

            Elle ne se jeta pas à l’eau. Elle prit le temps de s’y plonger progressivement, se mouilla les jambes, le ventre puis le dos et tandis qu’elle était occupée à trouver l’eau trop froide, une vague la fit tomber. Elle se releva et entreprit de nager vers l’Ouest. Le courant l’empêcha d’avancer. Elle nagea sur place en contemplant le rivage qui s’étendait sur sa droite. La montagne naissait au bord de l’eau : L’ile entière était la montagne. Elle montait ensuite souplement en courbant ses reliefs doux et verts pour atteindre un ciel lointain, bleu, ponctué de nuages clairs. Des maisons blanches et rouges se démarquaient nettement sur la végétation et leurs toits de tôle reflétaient parfois le soleil. Elle s’imposa de détailler la vue d’en considérer chaque particularité, et elle nota alors le peu de baigneurs présents ce jour, l’absence de vent dans les proches hauteurs qu’elle pouvait constater par l’allure droite et figée qu’y avaient les palmiers, la façon langoureuse qu’avaient les nuages de s’agglomérer aux sommets des montagnes de l’ile et de ne pas dépasser une hauteur nettement marquée par une ligne propre et droite. Elle ferma les yeux pour en chasser le regard façonné par la contemplation quotidienne de cette vision et les rouvrit sur un regard neuf, novice et émerveillé par la splendeur et l’exotisme de ce paysage. Alors, elle retrouva, mais juste un peu, de ce sentiment de sécurité qui autrefois la remplissait quand elle parvenait à se persuader d’être partie suffisamment loin.

 

            Elle n’avançait vraiment pas. Le courant la maintenait dans un surplace fatiguant mais elle ne décida de se réorienter vers l’Est que parce que subitement elle se vit nager sur place et se sentit ridicule aux yeux des autres baigneurs. Vers l’Est, elle était portée par le courant et elle parcourue plusieurs dizaines de mètres sans difficultés en réalisant des brassées larges et régulières. Lorsqu’elle était étudiante elle avait suivi des cours de natation et en gardait quelques bonnes habitudes.

 

Au fur à mesure qu’elle s’éloignait de son point de départ elle réalisa qu’elle s’éloignait aussi vers le large, s’en inquiéta et tenta de corriger sa trajectoire pour rester dans une zone de proximité raisonnable avec la terre ferme. Une vague la souleva, et elle se laissa porter. En redescendant elle enfoui sa tête sous l’eau et s’aperçu que la houle avait soulevé le sable lourd des fonds et l’avait mélangé à l’eau au point qu’on n’y voyait plus. Par temps calme l’eau était limpide et l’on apercevait au fond de l’eau l’ombre des nageurs qui approchaient avant de les voir réellement. Là, rien.

 

Elle releva la tête se jugea trop éloignée du bord et tandis qu’elle redoublait d’effort pour se rapprocher l’idée d’un requin s’imposa à elle de manière à la fois subite et profonde distillant en elle une peur qui la fit nager beaucoup plus vite. Elle pensa très clairement, mais en sachant tout aussi clairement à quel point cette hypothèse était invraisemblable, qu’un requin pouvait tout à fait profiter de la hauteur des vagues pour franchir la barrière de corail et se retrouver près d’elle dans cette zone soi-disant protégée de la plage. Elle parvint à contrôler son émotion,  ne se noya pas, nagea jusqu’au bord sans s’agiter ni crier et sorti de l’eau sans précipitation. Elle balaya néanmoins la plage du regard pour vérifier qu’aucun bronzeur n’avait surpris sa frayeur, puis marcha en respirant lentement vers son point de départ.

 

" Tu as vu j’ai fait du surplace, dit-elle à son mari "

 

Il rit.

 

Une voisine l’avait entendue également et elle fut persuadée de la voir rire aussi. " Tant pis, le ridicule ne tue pas et les fantasmes paranoïdes à base de requins non plus " se dit-elle en jugeant qu’il ne faudrait pas qu’elle se vante trop fort de son intention de finalement faire un baptême de plongée car elle risquait de ne pas y arriver avant longtemps. Elle s’assit, s’enroula dans sa serviette et laissa ses pensées se noyer dans le souffle paisible du grand océan. Elle entendait encore l’appel captivant de l’eau. Le vent cette fois avait réellement faiblit et soufflait juste assez pour que sa peau mouillée se hérisse sous l’onde d’un frisson léger. Elle ne parvint pas à retrouver l’appétit des vagues qui évoquaient la crinière des chevaux, ni de leur transparence, ni de leur parfum et ni de leur musique et elle ne parvint pas non plus à effacer le requin. Elle se replia sur elle-même pour couvrir tout son corps de sa serviette.

 

" Tu te souviens combien Badra avait peur de l’eau ? Demanda-t-elle à son mari.

 

-          Oui, dit-il distraitement.

 

-          Tu sais qu’elle a fait de la plongée ?

 

-          Ah bon ?

 

-          Oui. "

 

Il ne comprenait pas vraiment pourquoi Awa lui parlait de sa sœur cadette. Il lui était d’ailleurs impossible de comprendre. Elle ne lui parlerait jamais du requin.

 

" Oui, et elle fait du surf aussi, ajouta-t-elle.

 

- C’est pas vrai ! Réagit-il, mais plus par intérêt pour le surf que pour Badra.

 

- Oui, conclut-elle "

 

Awa se dit qu’il était assez curieux que ces faits aient échappé à sa conscience. Elle n’avait jamais eu peur de l’eau, Badra, toujours. Elle s’en était moquée d’ailleurs, mais gentiment pensait-elle. Et voilà qu’aujourd’hui, il lui apparaissait clairement que pendant des années Badra avait travaillé pour effacer son requin, tandis qu’elle, elle avait découvert l’existence du sien récemment et se sentait impuissante à le chasser au point qu’elle avait admis qu’il était inutile de s’y essayer encore et acceptait de limiter ses séances de nage en mer à de brèves incursions, limitées à une zone sure et proche du rivage.

 

Elle trouva qu’il faisait froid, maintenant, et se leva pour aller se doucher et se rhabiller. En s’observant dans son jean, elle le trouva trop grand et donc peu flatteur. Elle se dirigea vers le parking à côté des douches et se regarda dans la vitre arrière de la première voiture pour remettre de l’ordre dans ses cheveux courts et bruns et observer un instant son visage aux traits sévères. Elle avait des yeux trop rapprochés, un nez un peu grossier qui était avantageusement camouflé par ses lunettes d’habitude mais qui apparaissait tel aujourd’hui puisqu’elle portait des lentilles. Elle se fit une grimace, exagérant la rondeur de la pulpe trop opulente de ses lèvres, puis elle prit une grande inspiration, et son nez fut surpris et bercé par l’odeur si caractéristique du gel douche de sa fille qu’elle venait d’utiliser. Elle quitta le parking et pressa le pas pour retrouver sur la plage son mari et sa fille, se demandant si elle devait fatalement lui transmettre le requin, et sinon s’inquiéta de savoir si elle avait autre chose à lui transmettre ?

 

 

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Commentaires
C
interressant
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