Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Des grimaces et des petitsplats
Publicité
Archives
6 décembre 2012

Chapitre 2

En arrivant chez elle, Awa consulta machinalement ses mails. Badra avait publié de nouvelles photos d’elle. On la voyait gainée dans sa combinaison de surf, capturée dans un contre jour qui mettait en exergue sa taille fine, ses hanches épanouies et sa posture un peu altière dans laquelle Awa reconnu son caractère un peu fier. Elle sourit et malgré la distance qui la séparait de sa sœur mais aussi les disputes violentes et profondes qui avaient affectées leurs relations ces dernières années, elle ressenti pour elle une affection très chaude. Elle souriait encore, tandis que des larmes emplissaient ses yeux et se demanda si elle aurait été capable de se laisser aller à la prendre dans ses bras si elle avait été près d’elle. Elle en douta, puis fut certaine que non, puis le téléphone sonna et Gabriel, son mari, le lui amena en chuchotant :

" C’est ton père.

Surprise, elle écarquilla les yeux pris le combiné et répondit. Son père appelait très rarement. En général, c’était elle qui appelait, et très récemment il lui avait même reproché de le faire trop souvent. S'il appelait, cela ne présageait rien de bon. Elle s'isola dans le garage, ferma la porte derrière elle et se lança.

" Allo ? Papa ? Comment vas-tu ?

- Ah ça va pas trop bien, je suis malade, répondit-il avec une voix qui était plus rugueuse et plus encombrée au fur et à mesure des années. Puis il toussa et Awa eut l’étrange sensation de retrouver avec le son de sa toux son odeur si caractéristique de tabac froid mêlée aux arômes de café au lait instantané qu’il buvait systématiquement en fumant.

- Ah bon ? demanda-t-elle et qu’est ce que tu as ?

- Je ne sais pas, dit-il d’un ton plaintif dans lequel on ne parvenait pas à dire si son accent maghrébin où provençal dominait. Je suis fatigué…très fatigué ! Tu te rends compte, ça devient difficile pour moi de conduire, d’aller faire mes courses !

-Tu ne peux pas demander à Hamza de les faire pour toi ? Demanda-t-elle. Et au moment où elle prononça ces mots les regretta immédiatement et se fit simultanément deux remarques qui la noyèrent dans un malaise familier.

Premièrement elle eut la certitude de n’avoir pas eue l’attitude attendue par son père. Que doit-on dire et ressentir quand votre père vous annonce qu’il est malade ? Et puis, en supposant connaître la réponse à cette question, comment fallait-il l’exprimer ? Et à quel point sa réaction à elle, purement pragmatique et pratique, était elle éloignée de ce à quoi il s’attendait lui ? Elle se hasarda à supposer que c’était en fait la bonne réaction : Son père ne pouvait pas faire seul ses courses, donc, quelqu’un devait les faire pour lui. Hamza était le seul de ses enfants à habiter suffisamment près pour cela, le nommer relevait donc de la plus naturelle des logiques. Elle s’efforça avec une hypocrisie très déterminée d’ignorer l’état des relations entre son père et son frère mais n’y parvint pas. Et la certitude de n’avoir pas eu la bonne réaction s’imposa alors sans ménage, et teinta de sa couleur plombée le reste du dialogue.

Deuxièmement et en même temps, une question : pourquoi fallait-il que son esprit soit noyé par l’écho sourd de cette alarme ? Qu’importait-il de savoir si oui ou non elle avait réagit correctement ? Son père était malade, ce fait et ce fait seul devrait la préoccuper. Il convenait de savoir d’où provenait cette fatigue, et comment la soigner. Nous étions en décembre, Hamza ne cessait de répéter que les hivers avaient été de plus en plus froids ces trois dernières années. " Il neige à Avignon tous les ans depuis trois ans. Quand on était petit la neige elle était rare, et quand y’en avait c’étaient deux flocons qui tenaient pas ! " Proclamait-t-il avec son accent provençal sans ambigüité. Le froid, l’isolement, l’hygiène alimentaire douteuse dans lesquels Awa savait que son père se maintenait, cela pouvait suffire à expliquer sa fatigue. Il suffisait d’un mauvais virus pour affaiblir un homme de soixante cinq ans négligent et seul.

" Hamza ! s’écria-t-il sur un ton qui lui était si propre et qu’elle reconnu comme une confirmation de sa mauvaise réaction. Toi, tu crois que Hamza, il va venir me faire les courses, lui ? Tu comprends pas ce que j’ai dit ? Hamza, ça fait trois mois-il insista sur le " trois" en l’articulant exagérément - que je l’ai pas vu, et ses enfants non plus. Je compte pas sur lui, moi.

- Oui, papa, mais moi je suis trop loin pour faire tes courses…

            - Mais les courses, c’est pas la question ! S’emporta-t-il. Je te dis que je peux plus, là. Tu comprends pas ou quoi ? A ce stade, il n’y avait plus de doute sur le fait qu’elle avait mal réagit. C’était sûr, et il ne comptait pas prétendre le contraire car il avait lâché la bride à la totalité de son ressentiment. Hier j’étais à la caisse du supermarché, j’ai pas pu attendre debout. J’ai du déposer mon panier et partir m’assoir sur un banc dans la galerie ! Tu te rends compte, cria-t-il presque, je peux plus là, je peux plus ! "

            Paradoxalement, la colère débridée de son père permit à Awa de se sortir un instant de son malaise. Une part d'elle réussi même à apprécier le fait que la conversation avait quitté le champ de Hamza. Ironiquement, elle paria que la conversation ne finirait pas avant l'exploration du champ de Badra. Elle eut tort. Elle prit une bonne respiration, et se lança:

            " Tu as vu un docteur ? demanda-t-elle avec un calme tendu.

            -  Le docteur ? Le docteur? Et qu'est-ce qu'il va me dire le docteur? Déclara-t-il avec mépris.

            C'était vraiment parti. Il venait de perdre le contact. Awa avait beau le savoir, le voir et le comprendre rationnellement, il n'en restait pas moins qu'elle continuait de se débattre dans cette atmosphère plombée qu'il était parvenu à recréer autour d'elle par la seule portée de ses quelques mots. Elle dû respirer plusieurs fois avant de parvenir à articuler sur un ton péniblement tranquille:

            -Tu dois voir un docteur, papa. Tu ne sais pas ce que tu as et peut-être qu'un simple traitement te permettra de te remettre sur pied.

            - Non, tu comprends pas. Son ton s'était adouci, un tout petit peu. Il essayait de retrouver les tonalités larmoyantes du début de la conversation. Je suis fatigué je te dis! Mais ne t'inquiète pas, toi.  Comment ça va chez vous? Ta fille ça va? Lâcha-t-il sans transition.

            - Ici? Tout va bien. Ne t'inquiète pas pour nous. Soignes toi papa. C'est peut-être encore rien et si tu tardes cela peut s'aggraver. C'est dimanche aujourd'hui, tu iras voir un docteur demain?

            -Bon allez,  dit-il, au revoir, et passe mon bonjour à Gabriel."

            Il raccrocha. Awa, elle, eu besoin d'une phase de transition. "Pas assez loin" dit-elle à voix haute sans s'en apercevoir et Gabriel qui venait d'ouvrir la porte du garage l'entendit.

            "Tu m'as parlé? demanda-t-il.

            - Non, je parlais toute seule.

            - Ton père ça va?"

            Comment pouvait-elle répondre à cette question si ordinaire et pourtant si troublante pour elle? "Je ne sais pas, oui, non, ça ne va pas il est malade" répondit-elle en bafouillant. Encore noyée dans l'aura pesante recrée par son père, elle trouvait difficile de reprendre pied dans la réalité de son mariage, de sa vie à des années et des milliers de kilomètres de lui. Elle mobilisa pourtant ses énergies avec obstination et réussi non pas à chasser son trouble mais à composer une attitude, un ton et une figure juste assez persuasif pour donner le change à son mari. Elle poursuivit:

            " Il est fatigué. Il a du mal à se déplacer, je ne sais pas exactement ce qu'il a, en fait!

            Gabriel se retourna, étonné.

            -Tu ne lui as pas demandé?

            - Non, je n'ai pas eu le temps."

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité